Ce que l’objectif de décarbonation change pour l’AUAT

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Geneviève BRETAGNE
Responsable Transition écologique, AUAT

Frédéric TOUPIN
Directeur des études à l'AUAT

Au sens territorial du terme, le sujet de la décarbonation interroge. Des demandes nouvelles portées par certaines collectivités (pas toutes encore), comme des lois et des plans gouvernementaux affichant de fortes ambitions interpellent profondément l’AUAT. Cela à plusieurs titres : réponses à apporter, cohérences à rechercher, conviction à affirmer. Bref, dans la posture à définir et à tenir de façon légitime pour une mise en débat et en projet de ce sujet. Comment l’agence d’urbanisme s’inscrit-elle dans cette dynamique ? De quels atouts dispose-t-elle et quelles sont ses marges de progrès ? Quels sont les enjeux face auxquels elle doit adapter, voire renouveler ses pratiques et ses métiers dans l’exercice de ses missions fondamentales (observer, évaluer, accompagner, projeter) ?

Objectiver quantitativement et qualitativement

Les enjeux et les objectifs de décarbonation à l’échelle territoriale amènent l’agence d’urbanisme à questionner et renouveler ses exercices d’observation. La mise en débat du sujet impose de quitter des discours jugés trop « généralistes » pour objectiver le propos : un chiffre, une mesure, une évaluation… qui s’appuient sur de nouveaux indicateurs. La création de ces derniers est favorisée par des données de plus en plus disponibles en Open Data, mais également par la signature de partenariats privilégiés depuis près de 10 ans avec des acteurs de l’énergie (GRDF, Enedis, RTE…) qui trouvent à l’agence une scène d’échanges sur leurs projets et leur encadrement en urbanisme. Chiffres et expertises permettent alors d’objectiver, de préciser l’information et d’étayer l’analyse. L’expertise « données » et la récente expertise « énergie » de l’agence facilitent la mise en place de cette nouvelle observation, même si la nouveauté du sujet nécessite de prendre du temps et des moyens pour construire des indicateurs pertinents et utiles aux politiques d’aménagement, avant de les mettre à disposition des territoires. Mais, sur ce sujet, le chiffre ne fait pas tout. L’agence a également initié des enquêtes auprès d’habitants (dans le cadre de la démarche Mod/Us¹) afin de promouvoir une approche plus sensible, propre à cerner au plus près les évolutions de comportements « énergétiques » à l’œuvre. Les résultats sont particulièrement riches d’enseignement et incitent à conforter cette compétence sociologique. Ces observations sont complémentaires et tout aussi incontournables pour guider au mieux les collectivités dans la connaissance des pratiques sur leurs territoires et l’acceptation de leurs projets.

Quantitative comme qualitative, l’observation ainsi renouvelée participe à enrichir les partenariats historiques, notamment avec les collectivités (EPCI, syndicats de SCoT, Tisséo Collectivités…), lesquelles doivent répondre aux enjeux de décarbonation à travers leurs politiques, leurs projets, leurs documents d’urbanisme, et qui montent également en compétences sur le sujet. Cela offre également l’opportunité de créer et renforcer des partenariats spécifiques (en termes de données, d’expertises, d’animation) avec des agences publiques compétentes en matière d’environnement pour qui les sujets de décarbonation sont devenus centraux (ADEME, AREC…).

 

Envisager les futurs possibles, décaler le regard pour innover

Le socle de connaissances et d’expertises ainsi enrichi permet de poser autrement la question des futurs territoriaux. Les crises sanitaire et climatique ont stimulé dès 2020 les activités de prospective territoriale de l’AUAT. Comment nous déplacerons-nous demain ? Comment optimiser les flux énergétiques sur les territoires ? Quels leviers pertinents actionner aux étapes de planification ? Ces questions centrales en urbanisme ont poussé l’AUAT à engager, en lien avec ses partenaires, différents chantiers fondamentaux pour envisager d’autres futurs possibles avec une démarche de prospective territoriale sur les mobilités décarbonées et la constitution d’une toile de la transition énergétique. Si l’observation informe sur le point de départ, suivre la tendance n’est plus la seule option. La question des scénarios prospectifs est désormais posée : où voulons-nous collectivement aller ? Quelle ambition et quels objectifs nous donnons-nous ? Tout aussi important est le chemin pour les atteindre : quelles trajectoires sommes-nous en capacité de définir de façon consensuelle pour embarquer tous les acteurs des territoires ? Au sein des équipes de l’agence, plusieurs personnes formées aux techniques de prospective s’attachent, à travers ces chantiers, à renouveler les questionnements et les méthodes. Les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement sont aussi conviés au tour de table pour ouvrir plus largement des pistes de réponses. L’enjeu désormais est d’étendre ces nouvelles compétences à l’ensemble de l’équipe de l’agence, afin que tout un chacun soit en capacité, au sein de ses missions, de faire un « pas de côté ».

 

Sensibiliser, guider les réflexions, évaluer

Car il s’agit bien, à l’issue de ces chantiers, de faire percoler cette nouvelle matière directement dans les exercices de réflexion territoriale sur lesquels l’AUAT est mobilisée. L’énergie est un sujet multiscalaire par excellence et interpelle de façon itérative les exercices de planification à différentes échelles, comme les démarches de projet d’aménagement. De la phase stratégique au déploiement des actions en urbanisme, la décarbonation s’inscrit désormais parmi les enjeux du projet de territoire. Dans les territoires attractifs que nous connaissons, comment faire plus et mieux « ville » avec moins d’énergie ? Cet objectif mérite une véritable cohérence et articulation entre les différentes strates de réflexion urbaine et une très bonne connaissance des leviers à disposition au sein de chacune d’entre elles. Consciente de l’enjeu, l’agence a lancé en 2023 un chantier interne pour doter l’équipe de connaissances partagées sur le sujet énergie, et monter collectivement en compétences et en capacité d’accompagner les territoires de façon cohérente pour des mesures en faveur de la décarbonation. Le chantier est loin d’être terminé et doit être étendu à l’échelle du projet d’aménagement.

L’enjeu de la décarbonation constitue un prisme de lecture transversal qui interroge les processus d’évaluation des politiques publiques. Le chantier interne suscité comme les réflexions sur les données et indicateurs mobilisables permettront d’alimenter ces processus, indispensables pour apprécier la réalité des trajectoires et de l’atteinte des objectifs affichés. Cette étape est encore à construire.

 

Mettre au débat

Parce que les collectivités expriment le besoin d’être guidées dans l’articulation des enjeux énergétiques et d’aménagement du territoire, et parce qu’il s’agit d’une de ses missions fondamentales, la question énergie et l’enjeu de décarbonation s’inscrivent désormais dans le programme de sensibilisation et d’animation du débat technique et politique aujourd’hui porté par l’AUAT auprès de ses membres et partenaires. Elle organise ainsi le partage d’expériences de territoires engagés (Observatoire partenarial de l’environnement, revue BelvedeR), propose des éclairages sur les stratégies élaborées en faveur de trajectoires décarbonées (parole donnée à l’ADEME, RTE, négaWatt) et sur les évolutions à l’œuvre (dispositif d’observation à conforter). Pour cela, l’agence s’appuie sur des experts thématiques et sur sa propre expertise, au bénéfice d’une mise en cohérence des politiques publiques territoriales. Elle participe ainsi à une mise à niveau collective et partagée. Elle anime aussi des réflexions sur de nouvelles orientations du modèle territorial.

 

Toile de la transition énergétique

Pour répondre aux enjeux de la décarbonation et de la sécurisation de l’approvisionnement énergétique, il est essentiel de comprendre comment sont organisés les flux énergétiques. La connaissance et la coopération sont des éléments nécessaires pour assurer une transition énergétique partagée et cohérente à l’échelle du territoire.

L’AUAT a engagé la réalisation d’une toile de la transition énergétique qui vise à identifier l’ensemble des acteurs économiques, en mettant en avant leurs interrelations, et en quantifiant les flux énergétiques sur le périmètre de l’aire d’attraction toulousaine.

La réalisation de cette toile poursuit deux objectifs principaux : d’une part l’amélioration de la connaissance territoriale et l’identification des évolutions de process en cours ainsi que des besoins ; d’autre part la création et l’animation d’une scène de dialogue entre acteurs économiques et avec les opérateurs publics et les collectivités.

Les difficultés d’adhésion des acteurs, d’accès aux données, de compréhension des finalités de la démarche sont importantes. L’AUAT, par son ancrage local et sa capacité à mobiliser plusieurs compétences complémentaires (environnement, économie, planification…), est une entité légitime pour travailler de manière collaborative avec les acteurs du monde de l’énergie et de l’économie.

 

 

Démarche prospective sur les mobilités décarbonées

La loi Climat et résilience a profondément marqué l’esprit des urbanistes avec le zéro artificialisation nette en 2050. Une deuxième révolution est en marche pour le même horizon. Elle a été introduite par la stratégie nationale bas carbone avec la nécessité de totalement décarboner les mobilités d’ici 2050. Cette injonction aura inévitablement un impact considérable sur l’aménagement de nos territoires : comment se déplacer sans pétrole ?

Afin d’anticiper une réflexion qui, pour le moment, n’a que peu préoccupé les collectivités, et d’éclairer les futurs documents de planification, l’AUAT a engagé une démarche de prospective qui vise à proposer différentes trajectoires de décarbonation des mobilités et à les mettre au débat.

Cette démarche vise à sortir d’une vision souvent technologique de la question en abordant le rôle des modes de vie, du report modal et de l’urbanisme, dans la décarbonation des mobilités, mais aussi les enjeux d’équité sociale et d’acceptabilité.

Cette démarche cherche enfin à faire atterrir localement des scénarios nationaux (ADEME, ANCT…) qui apparaissent parfois éloignés des préoccupations opérationnelles.

Ce travail de prospective comprend plusieurs temps collaboratifs et implique une approche systémique justifiant la mobilisation de différentes équipes de l’agence (mobilité, transition écologique, planification, projet urbain…).

 

 

Volet énergie des documents de planification

La loi de Transition énergétique pour la croissance verte de 2015 fixe un cadre et des objectifs en matière de décarbonation. Depuis cette date, de nombreuses lois sont venues renforcer le rôle des documents de planification pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 : loi Elan en 2018, Énergie-Climat en 2019, Climat et résilience en 2021, 3DS en 2022, et loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables en 2023.

Les exercices de SCoT, de PLU(i), ou encore de PCAET, jouent un rôle dans l’encadrement, l’insertion et l’acceptabilité des projets de production d’énergies renouvelables (éoliens, photovoltaïques, de méthanisation…), dans la prise en compte de la performance environnementale des bâtiments et dans la protection (voire l’extension) des puits naturels de carbone. Afin de jouer au mieux son rôle de conseil et d’expertise, l’AUAT a engagé un chantier copartagé par ses équipes planification et transition écologique pour renforcer la prise en compte des enjeux énergétiques dans les documents qu’elle accompagne. À visée pédagogique prioritairement, ce chantier s’adresse aux équipes de l’AUAT via notamment des séances d’acculturation commune autour des enjeux, la diffusion de connaissances et d’outils, ainsi que la mise en place de partenariats avec de nouveaux acteurs, tels que l’Agence régionale énergie climat (AREC). La finalité de ce chantier est bien d’avancer collectivement pour décliner de façon pertinente et au bon niveau l’inscription des enjeux énergétiques dans les exercices d’aménagement du territoire, au bénéfice des territoires qu’elle accompagne et des instances de dialogue territorial qu’elle anime. La question de l’énergie est ainsi un sujet d’échanges pour l’interscot du Grand Bassin Toulousain et pour l’Association du dialogue métropolitain de Toulouse (ADMT), deux structures animées par l’AUAT à l’échelle de l’aire métropolitaine.

1. La démarche Mod/Us a été initiée par l’AUAT pour observer les modes de vie et les usages à l’échelle de l’aire métropolitaine.

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